Le Céruléen était arrivé sur les lieux du thé avant son partenaire. Il avisa d’un regard lassé la table spécialement apprêtée pour l’évènement. Toute en douceur, elle était décorée de couleurs pastel et de fleurs fraîchement cueillie dans une serre quelconque. De la vaisselle splendide avait été mise à disposition des participants, de celle d’une qualité que le Céruléen n’avait pas vue depuis longtemps. En effet, la destruction quasi-complète du monastère avait laissé libre aux pilleurs pour dérober les richesses du palais religieux dont faisait partie, sans nul doute, la vaisselle de porcelaine et l’argenterie finement gravée.

Sans qu’il n’ose les toucher de ses mains gantées, le regard de l’homme en armure s’attarda sur les différents thés qui avaient été spécialement choisis pour l’après-midi. Bien sûr, il n’y goûterait pas. La méfiance l’emportait, comme toujours. Après tout, comment savoir précisément ce que contenait chaque mélange ? Du thé au gingembre ? Balivernes. Sans doute n’était-ce qu’un quelconque poison destiné à abaisser sa vigilance. Car le Céruléen n’était pas dupe… mais il était sur ses gardes, sans aucun doute. Toutefois, comme il était idiot de se présenter au thé sans en boire, il était venu avec sa propre mixture.

Comme l’inconnu s’approchait de la table, le Céruléen s’en écarta. Il lui adressa un signe de la tête en guise de salut avant de prendre place. Si l’homme svelte qui lui servirait de partenaire de thé désirait faire des choses aussi futiles que l’étaient les présentations, le gardien le laisserait s’en charger. Après tout, ils n’avaient pas de temps ou de mots à perdre avec de telles banalités. Au lieu de ça, il prit place sur la chaise qui lui était réservée et sortit le bocal qu’il dissimulait dans la sacoche qui ne le quittait jamais. Embarrassé d’avoir à faire la discussion avec un inconnu – il tenait cette activité en horreur ! – il articula maladroitement quelques mots. « En désirez-vous ? » Après un bref instant, il fronça les sourcils en se maudissant. Bien sûr, il lui faudrait être plus explicite. « Du thé de Seiros. Du Village des Saints. » Il marqua une pause, cherchant à minimiser le nombre de mots qu’il emploierait. « Un cadeau. D'un habitant. » Enfin, il poussa un soupir, déjà épuisé par l'effort qu'il fournissait. Décidément, sa place n’était pas à papillonner autour d’une tasse de thé.

Le Céruléen hocha la tête devant l’acception de Lewis quant au thé qu’il s’était procuré. Sans attendre, il prépara le breuvage et s’appliqua à le verser délicatement dans les tasses malgré les gants métalliques qui rendaient le moindre de ses mouvements imprécis. Satisfait de son travail, il se concentra d’autant plus lorsqu’il s’agit de déposer la tasse devant son partenaire. S’il lui était difficile de jauger sa force dans la mesure où il était privé du toucher, il était d’autant plus complexe de ne pas laisser la porcelaine glisser contre le métal. Malgré les tracas que lui avait causés l’exercice, il ressentit beaucoup de fierté en constatant que tout s’était déroulé sans accroc. Il écarta légèrement son buste de la table et sourit sous son masque, heureux de contempler les résultats d’un travail bien fait.

Libéré de la mission de servir la boisson, Le Céruléen reporta son attention sur son partenaire qui le questionnait à propos du village. « Ils sont en vie. » répondit-il aux interrogations de Lewis sur le bien-être des villageois. A dire vrai, il n’avait pas la moindre idée des détails sur la santé et le moral de chacun. Ce n’était pas réellement comme s’il s’en souciait, sa mission se limitait à protéger le village des agressions extérieures. « Beaucoup de bandits, précisa-t-il alors qu’il se sentit obligé de compléter, mais je les tiens à distance. » C’était là le cœur de sa mission après tout ; protéger et servir.

Il se saisit de sa tasse pour prendre une gorgée de thé avant de réaliser que le heaume qu’il s’obligeait à porter compliquerait sans doute grandement la chose. Embarrassé, il reposa la tasse tout en réfléchissant. Cela serait profondément impoli de sa part de ne pas prendre part au thé. S’il était parfois un peu rude sur ses propos, détestant parler, il n’était pas pour autant un rustre. Avisant la tenue de l’homme qui lui faisait face, il pesa le pour et le contre. « Adrestia, » affirma-t-il. « Vos vêtements, » se sentit-il obligé de préciser pour prévenir toute interrogation inutile. Si son partenaire répondait par l’affirmative, il serait alors presque impossible qu’il reconnaisse son visage démasqué. Il enlèverait alors son heaume juste pour le temps du thé. Malgré tout, désireux de ne pas s’éterniser sur un domaine qu’il ne maîtrisait pas, il changea de sujet pour revenir au village. « Le thé... c'est un cadeau de Théobald. » Le nom de famille lui échappait mais peut-être Lewis reconnaîtrait-il le villageois, s’il avait déjà pu séjourner en ces lieux par le passé.